Le Liban est un pays unique dans le monde arabe. Sa richesse culturelle repose en grande partie sur sa mosaïque religieuse exceptionnelle. Vingt-deux confessions reconnues cohabitent sur un territoire de seulement 10 452 km². Cette diversité, perçue à la fois comme une force et une fragilité, façonne l’histoire, la politique, l’organisation sociale, mais aussi les tensions qui traversent la société libanaise. Dans cet article, nous explorons les racines de cette pluralité religieuse, son impact sur la vie quotidienne, les défis qu’elle pose aujourd’hui, et les espoirs que portent les nouvelles générations.
📜 Une origine ancienne : la terre des confessions
Situé au carrefour de l’Orient et de l’Occident, le Liban est un carrefour historique des civilisations. La pluralité religieuse y remonte à l’Antiquité. Phéniciens, Grecs, Romains, Byzantins, Arabes, Ottomans… chacun a laissé une empreinte religieuse durable.
Les chrétiens
Le christianisme s’implante dès le Ier siècle. Les Maronites, qui suivent le patriarche saint Maron au Ve siècle, se réfugient dans les montagnes pour fuir les persécutions. Ils seront plus tard rejoints par des orthodoxes (grecs et syriaques) et des catholiques melkites.
Les musulmans
Les conquêtes arabes du VIIe siècle introduisent l’islam. Les sunnites se concentrent surtout dans les villes côtières (Beyrouth, Tripoli, Saïda), tandis que les chiites, marginalisés par les Ottomans, s’établissent principalement au Sud et dans la plaine de la Bekaa. Le chiisme libanais abrite aussi les alaouites (principalement à Tripoli) et les ismaéliens (moins nombreux).
Les Druzes
Vers le XIe siècle, une autre confession émerge : les Druzes, issus d’un courant ésotérique de l’islam chiite ismaélien. Leur croyance, très discrète et fermée, constitue aujourd’hui une communauté influente dans le Chouf et le Mont-Liban.
Juifs, protestants et autres
Le Liban compte aussi une petite communauté juive, jadis prospère à Beyrouth, ainsi que des protestants (anglicans, évangéliques) et des minorités comme les assyriens, chaldéens, coptes, ou bahaïs.
đź“‹ Les confessions reconnues et leur place
Ă€ ce jour, 18 confessions religieuses sont officiellement reconnues dans la Constitution libanaise, qui organise une forme unique de confessionnalisme politique.
Répartition approximative selon les estimations (le recensement officiel date de 1932) :
- Maronites : environ 22-25 %
- Sunnites : environ 25-28 %
- Chiites : environ 27-30 %
- Druzes : 5-7 %
- Orthodoxes grecs : 8-10 %
- Catholiques melkites, protestants, autres : le reste
🇫🇷 Comparatif avec la France : laïcité contre confessionnalisme
Le contraste entre le Liban et la France est frappant.
- En France, la laïcité repose sur la séparation de l’Église et de l’État (loi de 1905). La religion est affaire privée, même si elle influence parfois les débats sociaux. L’État ne reconnaît officiellement aucune religion.
- Au Liban, la religion structure l’espace public : les mariages civils n’existent pas (sauf à l’étranger), les successions et les statuts personnels dépendent des tribunaux religieux. Le système politique est basé sur la représentation communautaire : le président est maronite, le Premier ministre sunnite, le président du Parlement chiite, et ainsi de suite.
Le confessionnalisme libanais se veut garant de l’équilibre, mais il est souvent critiqué pour son effet de blocage institutionnel et pour avoir nourri des clientélismes et clivages identitaires.
🧬 Une vie sociale façonnée par la religion
Au Liban, la religion influence tous les aspects de la vie quotidienne : éducation, mariage, alimentation, calendrier, rites funéraires, appartenances politiques, etc.
Mariage et statut personnel
Il n’existe pas de mariage civil localement. Chaque confession gère ses propres lois matrimoniales. Ainsi, un couple mixte (ex : maronite et sunnite) devra se marier à Chypre ou ailleurs pour obtenir un mariage civil reconnu.
Écoles et lieux de culte
Beaucoup d’écoles sont confessionnelles. Les enfants grandissent dans des environnements religieux distincts. Même si Beyrouth et quelques villes côtières offrent des espaces plus mixtes, la plupart des régions du pays restent fortement communautarisées.
Médias et politique
Les grands partis politiques ont des racines confessionnelles : le Hezbollah (chiite), le Courant du Futur (sunnite), les Forces Libanaises (chrétiennes), le Parti Socialiste Progressiste (druze), etc.
Les chaînes télévisées, journaux, radios… sont souvent alignés sur ces clivages. Cela entretient une polarisation médiatique quasi permanente.
🤝 Cohabitation : entre héritage millénaire et crises récurrentes
Le Liban a longtemps été un exemple de cohabitation religieuse réussie dans la région. Des quartiers comme Hamra à Beyrouth ou Zahlé dans la Bekaa sont historiquement multiculturels.
Mais cette cohabitation est aussi fragile. La guerre civile de 1975-1990, déclenchée en grande partie par des tensions confessionnelles, a laissé des cicatrices durables. Depuis, le pays alterne entre phases d’accalmie et périodes de tensions, comme lors des conflits de 2008 ou plus récemment en 2021.
🔄 Vers une redĂ©finition : les jeunes et l’espoir d’une unitĂ©
Depuis la révolution d’octobre 2019, une nouvelle génération libanaise s’est levée pour rejeter le système confessionnel. Sur les places de Beyrouth, Tripoli ou Nabatiyeh, on entendait :
« Tout le monde veut vivre, chrétien, musulman, druze… »
« Nous sommes Libanais avant d’être maronites, chiites ou sunnites. »
Les jeunes réclament un État laïc, civil et juste, où la citoyenneté l’emporte sur l’appartenance communautaire. De nombreuses initiatives sociales, culturelles et éducatives favorisent le vivre-ensemble : écoles mixtes, projets interreligieux, mariages civils célébrés à l’étranger, groupes de dialogue interconfessionnel…
Même si le chemin est long, ces mouvements illustrent une volonté de sortir du communautarisme hérité et de construire une société plus égalitaire.
🧠Conclusion : une complexité à apprivoiser
La religion au Liban est un prisme à travers lequel se lit toute la société : son passé glorieux, ses guerres, ses blocages et ses aspirations. Cette complexité, loin d’être un simple défi, est aussi une richesse à valoriser.
Mais pour que cette richesse ne devienne pas un piège, il est urgent d’imaginer un nouveau contrat social, fondé sur la reconnaissance des droits individuels, la laïcité au sens libanais du terme (c’est-à -dire pluraliste, et non anti-religieuse), et la promotion de la citoyenneté au-dessus des appartenances.
Dans ce Liban où l’on entend chaque jour l’appel du muezzin et les cloches des églises, où les fêtes religieuses rythment la vie de tous, l’unité dans la diversité n’est pas un slogan vide : c’est une nécessité vitale.