đ Introduction : le Hezbollah, symbole dâune ambiguĂŻtĂ© libanaise
Le Hezbollah est sans doute lâacteur politique et militaire le plus puissant du Liban. Mais câest aussi le plus controversĂ©. NĂ© dans la douleur de lâoccupation israĂ©lienne, il est devenu en quarante ans une force armĂ©e supĂ©rieure Ă lâarmĂ©e rĂ©guliĂšre, un parti politique au Parlement, un Ătat dans lâĂtat, et un vecteur dâinfluence directe de lâIran au Liban.
Tour Ă tour perçu comme un mouvement de rĂ©sistance contre IsraĂ«l, un parti communautaire chiite, un bras armĂ© de lâIran, un groupe terroriste (selon plusieurs pays occidentaux), ou un parti social populaire, le Hezbollah incarne toutes les tensions dâun pays fragile et fragmentĂ©.
đ Naissance du Hezbollah : entre guerre, occupation et chiisme politique
Le Hezbollah est fondĂ© en 1982, en rĂ©action Ă lâinvasion israĂ©lienne du Liban. Il naĂźt dans un contexte trĂšs particulier :
- LâarmĂ©e israĂ©lienne occupe le Sud-Liban.
- Le mouvement chiite Amal est jugé trop modéré.
- LâIran, fraĂźchement islamisĂ© sous Khomeini, cherche des relais dans le monde arabe.
Le Hezbollah est donc un projet politico-religieux chiite, nourri par lâidĂ©ologie du Wilayat al-Faqih (gouvernement du jurisconsulte), qui allie foi et pouvoir.
Il est financĂ©, formĂ© et encadrĂ© par lâIran, avec lâaide de la Syrie.
đȘ Une puissance militaire inĂ©galĂ©e
Le Hezbollah dispose aujourdâhui dâune capacitĂ© militaire supĂ©rieure Ă celle de lâarmĂ©e libanaise :
- Plusieurs dizaines de milliers de combattants (estimation variable)
- Un arsenal de missiles, drones, roquettes, tunnels
- Un réseau logistique dans tout le pays, notamment au Sud-Liban, dans la Bekaa, et dans les banlieues sud de Beyrouth
Il a affronté Israël en 2000 (libération du Sud) et surtout en 2006 (guerre de 33 jours). Il est aussi intervenu en Syrie pour soutenir le régime de Bachar el-Assad.
Sa puissance militaire pose une question centrale : comment un pays peut-il exister pleinement quand une force politico-militaire agit en dehors de ses institutions ?
âĄïž Entre rĂ©sistance et provocation
Le Hezbollah est vu par ses partisans comme le seul rempart face à Israël, capable de répondre à ses agressions, de défendre les frontiÚres, de protéger le Liban.
Mais ses dĂ©tracteurs lâaccusent dâĂȘtre aussi un fauteur de guerre :
- En 2006, la capture de deux soldats israéliens a déclenché une guerre majeure.
- Sa présence armée dépasse le cadre de la résistance.
- Son ingérence en Syrie a entraßné des tensions internes et régionales.
Il est donc Ă la fois bouclier et menace, protecteur et instigateur.
đ Un parti politique puissant
Depuis les années 1990, le Hezbollah a investi le champ politique :
- Il participe aux Ă©lections
- Il dispose de ministres, de députés
- Il dirige des mairies, des syndicats
- Il forme des alliances avec dâautres partis (notamment chĂ©tiens comme le CPL de Michel Aoun)
Mais son influence ne se limite pas au vote. Il détient un pouvoir de blocage, un poids symbolique, une capacité de pression militaire qui dépasse largement son assise électorale.
đ LâIran : pĂšre nourricier et stratĂšge
Le Hezbollah est le principal relais de lâIran au Liban. Son financement, sa formation militaire, son encadrement idĂ©ologique, viennent de TĂ©hĂ©ran.
Lâobjectif iranien est clair :
- CrĂ©er une zone dâinfluence chiite dans le Croissant fertile (Irak, Syrie, Liban)
- Déstabiliser Israël par un front nord permanent
- Détenir des leviers stratégiques dans la politique arabe
Le Hezbollah, dans cette logique, nâest pas quâun acteur libanais. Il est un acteur de la gĂ©opolitique iranienne.
đ€ Une communautĂ© dominante dans un pays multiconfessionnel
Le Hezbollah tire sa légitimité principalement de la communauté chiite, historiquement marginalisée au Liban.
Il a réussi à :
- Offrir une identité forte à cette communauté
- Proposer des services sociaux (santé, éducation, aides)
- La protéger face aux menaces réelles ou perçues (Israël, djihadisme sunnite, marginalisation politique)
Mais sa montée en puissance a créé un déséquilibre profond :
- Le Hezbollah est sur-armé face aux autres forces politiques
- Sa domination provoque des peurs, des tensions, des clivages
- Il devient, malgrĂ© lui ou volontairement, un facteur de division plus que dâunitĂ©
Or, aucune communauté ne peut gouverner seule le Liban. Le pays repose sur un équilibre fragile entre confessions, identités, appartenances.
đȘŹ La mort de Hassan Nasrallah : hypothĂšse et rĂ©flexions
Hassan Nasrallah est Ă la tĂȘte du Hezbollah depuis 1992. Il incarne le mouvement, sa stratĂ©gie, son discours, sa structure.
Sa disparition (naturelle ou non) poserait plusieurs questions :
- Qui pour le remplacer ?
- Vers un durcissement ? Une ouverture ?
- Quelle réaction interne dans la communauté chiite ?
- Quel impact sur les relations avec lâIran ?
Plusieurs analystes pensent que la mort de Nasrallah pourrait dĂ©clencher une crise interne au sein du Hezbollah, entre aile politique et aile militaire. Dâautres craignent une radicalisation supplĂ©mentaire.
Mais cela pourrait ĂȘtre aussi une opportunitĂ© de redĂ©finir le rĂŽle du Hezbollah au Liban.

đ Repenser le Liban : de la communautĂ© Ă la citoyennetĂ©
La principale leçon de lâĂ©mergence du Hezbollah, comme dâautres mouvements communautaires, câest que le Liban a trop longtemps Ă©tĂ© pensĂ© comme un pays de confessions, et non comme une nation de citoyens.
Tant que les Libanais se dĂ©finiront d’abord comme chiites, sunnites, chrĂ©tiens ou druzes, et non comme Libanais, aucun projet commun ne pourra Ă©merger.
La domination dâune seule communautĂ©, fĂ»t-elle puissante, ne peut que reproduire les conflits, les frustrations, et les violences.
đ Hezbollah : terroriste ou rĂ©sistant ? Parti politique ou milice ?
Le Hezbollah est désigné comme organisation terroriste par :
- Les Ătats-Unis
- Le Canada
- Le Royaume-Uni
- Plusieurs pays du Golfe
- L’Union europĂ©enne (pour sa branche armĂ©e seulement)
Mais il est reconnu comme mouvement de résistance dans le monde arabe, et évidemment au Liban par ses partisans.
Cette dualisation reflÚte la complexité du Hezbollah :
- Il construit des Ă©coles, des hĂŽpitaux
- Il gĂšre des Ă©lections, participe Ă des coalitions
- Il commet des attentats, combat en Syrie, viole les rĂ©solutions de lâONU
Il est à la fois réseau social, appareil militaire, mouvement politique, canal religieux et bras diplomatique.
đż Conclusion : et maintenant ?
Le Hezbollah ne peut ĂȘtre pensĂ© comme une entitĂ© monolithique. Il est le fruit de lâhistoire, des rapports de force, des dĂ©sĂ©quilibres internes et des influences extĂ©rieures.
Le vĂ©ritable dĂ©fi du Liban nâest pas seulement de contenir ou de dissoudre le Hezbollah. Câest de reconstruire un projet national inclusif, oĂč aucune communautĂ© ne dicte sa loi, oĂč aucun parti nâest au-dessus de lâĂtat, et oĂč lâon est enfin libanais avant dâĂȘtre maronites, chiites, sunnites ou druzes.
Le Hezbollah peut-il Ă©voluer vers ce Liban-lĂ ? Peut-il se dĂ©sengager du militaire pour ĂȘtre un acteur politique parmi d’autres ?
Câest peut-ĂȘtre le pari le plus dĂ©licat du XXIe siĂšcle libanais. Et sans doute le plus nĂ©cessaire.
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