🔢 Introduction : un voisin encombrant
La Syrie et le Liban partagent une frontière de 375 km, une histoire millénaire entrelacée, des liens familiaux, linguistiques, commerciaux et religieux. Et pourtant, les deux pays sont souvent plus dissemblables que voisins. Le Liban regarde la Syrie avec un mélange complexe de proximité, de défiance, d’attachement ancestral et de rejet politique.
La Syrie a longtemps été perçue comme une grande sœur dominatrice, un empire en miniature tentant d’absorber son petit voisin libanais. Ce post explore les différences fondamentales entre les deux pays, l’histoire des tensions, des alliances et des clivages identitaires qui définissent ce lien ambivalent.
📅 Une histoire commune, une séparation douloureuse
Avant la création des États modernes, la Syrie et le Liban faisaient partie de la même entité géopolitique : la Grande Syrie ottomane. Ce n’est qu’en 1920 que la France crée le Grand Liban, détaché de Damas, avec l’objectif de créer une entité à majorité chrétienne et de soumettre cette nouvelle entité à sa tutelle coloniale.
Dès le départ, cette division est contestée par les nationalistes syriens, qui considèrent le Liban comme une province artificiellement séparée. Cette idée d’une Syrie naturelle intégrant le Liban n’a jamais disparu de la rhétorique politique à Damas.
📚 Deux cultures, deux visions
Malgré la langue commune (l’arabe), les dialectes syrien et libanais, les pratiques sociales, les valeurs et les références culturelles sont radicalement différents.
- Le Liban, même à travers la guerre, a conservé une liberté d’expression, un pluralisme médiatique, un cosmopolitisme, et une culture de débat. Beyrouth reste une capitale culturelle du monde arabe.
- La Syrie, sous le règne des Assad (père et fils), a cultivé un modèle centralisé, autoritaire, militarisé, où l’expression publique est contrôlée, et où la mémoire politique est verrouillée.
Cette différence culturelle a toujours alimenté un sentiment de supériorité chez les Libanais, qui voyaient leurs voisins comme « provinciaux » ou « soumis », et un ressentiment chez les Syriens, qui voyaient les Libanais comme « arrogants », « occidentalisés » et « ingrats ».
🚚 Une domination politique prolongée
De 1976 à 2005, l’armée syrienne a occupé le Liban, sous couvert de pacification de la guerre civile. Cette présence a rapidement dégénéré en tutelle politique directe :
- Le système politique libanais est alors régulièrement ajusté à Damas
- Les alliances se font et se défont selon les consignes syriennes
- Les opposants au régime syrien sont intimidés, parfois assassinés
L’apogée de cette mainmise se produit dans les années 1990. Le Liban devient une zone de transit politique, économique et militaire pour la Syrie.
Le retrait syrien en 2005, consécutif à l’assassinat de Rafic Hariri, est perçu comme une libération nationale pour une grande partie des Libanais.
🗼 Des proximités communautaires
Malgré tout, certaines populations libanaises ont historiquement été proches de la Syrie :
- Les druzes libanais ont des alliances fortes avec les druzes syriens (région de Soueida)
- Les chiites du Liban Sud ont des liens culturels et religieux avec certaines populations du nord syrien
- Les chrétiens de Zahlé, Homs, Alep partagent des traditions, des familles, des pratiques liturgiques
Mais ces proximités religieuses n’ont jamais été suffisantes pour créer un véritable sentiment d’union entre les deux peuples. L’autonomie libanaise est un attachement profond, toutes confessions confondues.
🌫️ La guerre en Syrie : un tournant décisif
Depuis 2011, la Syrie est plongée dans une guerre civile qui a fait plus de 500 000 morts et provoqué l’exil de plusieurs millions de Syriens, dont plus de 1,5 million ont trouvé refuge au Liban.
Ce conflit a ravivé :
- Les peurs communautaires libanaises
- Les tensions sociales économiques (concurrence sur l’emploi, le logement, les aides)
- Les clivages politiques (Hezbollah soutenant Assad, d’autres le rejetant)
Le ressentiment contre les réfugiés syriens grandit dans toutes les communautés. La classe politique libanaise instrumentalise le sujet pour masquer ses propres faillites.
🧰 La Syrie vue du Liban : admiration ou aversion ?
La perception des Syriens au Liban est paradoxale :
- Solidarité humanitaire dans certaines franges de la société civile
- Aversion profonde pour le pouvoir syrien et ses méthodes autoritaires
- Racisme et exploitation économique envers les travailleurs syriens (bâtiment, agriculture, nettoyage)
- Nostalgie des échanges culturels (musique, cuisine, commerce) pour certains
Le Syrien est souvent vu comme un « autre proche mais indésirable », un réflexe de défense sociale autant que le symptôme d’une crise d’identité.
☢️ Le Liban, zone tampon
Le Liban a souvent été une zone tampon entre l’Iran, la Syrie, Israël, l’Arabie Saoudite et les puissances occidentales. La Syrie, en particulier, utilise le Liban comme :
- Canal diplomatique
- Zone de repli militaire
- Base pour le Hezbollah
- Levée de fonds (contrebande, corruption, etc.)
Cette instrumentalisation continue alimente l’hostilité de nombreux Libanais envers un pouvoir syrien qui ne cesse d’intervenir dans leurs affaires intérieures.
🌿 Conclusion : ni rupture, ni fusion
La relation entre la Syrie et le Liban est marquée par :
- Une histoire commune mais des identités séparées
- Une proximité physique mais une distance culturelle
- Une interdépendance forcée mais un désir d’autonomie profond
Pour le Liban, la Syrie est un voisin incontournable mais pesant, une réalité géopolitique qu’il faut gérer avec prudence.
La paix entre les deux pays ne viendra pas d’une annexion ou d’une rupture, mais peut-être d’une redéfinition des rôles, d’une reconnaissance mutuelle des spécificités, et d’un respect enfin trouvé de la souveraineté libanaise.
Car entre frères, on peut s’aimer ou se détester. Mais on ne choisit pas sa famille. Et encore moins sa géographie.