🔍 Un artisanat enraciné dans la terre
Depuis des millénaires, la poterie fait partie du quotidien au Liban. Des jarres à huile d’olive aux amphores à vin, des plats de cuisson aux lanternes, la terre cuite est à la fois utilitaire, esthétique et identitaire.
Chaque village, chaque vallée, chaque montagne a jadis compté ses potiers. L’argile était extraite localement, les formes transmises par les anciens, les cuissons réalisées dans des fours à bois rudimentaires.
Aujourd’hui, cet artisanat tend à disparaître, étouffé par les objets industriels, les contenants plastiques, les rythmes modernes. Et pourtant, quelques figures tiennent bon.
🙏 Sana Jabbour, gardienne d’un geste millénaire
Au cœur du village d’Assia, dans le district de Batroun, vit Sana Jabbour, potière d’exception. Issue d’une longue lignée de femmes potières, elle a choisi de rester, de transmettre, de façonner la terre comme le faisait sa mère avant elle.
Sa particularité ? Une poterie 100% manuelle, sans tour, sans machine, sans vernis. Elle pratique la technique la plus ancienne de toutes : à la main, avec de simples outils en bois, et un sens inouï de la forme.
Son argile provient directement de la terre du village, mélangée à un minéral proche du quartz. Le mélange, naturel et pur, est façonné, séché, puis cuit dans un four à bois ancestral. Le processus entier peut durer un mois, parfois plus.
Chaque pièce est unique. Aucune n’est exactement semblable. Et c’est ce qui fait leur valeur.
🛏️ Un art fragile, entre patience et précarité
Ce qui impressionne chez Sana, au-delà de la maîtrise technique, c’est la philosophie du temps qu’elle incarne. Dans une société de l’instantané, elle nous rappelle que certaines choses exigent lenteur, silence, respect.
Fabriquer une poterie sans tour ni moule, c’est accepter l’imprévisible, les fissures, les ratés. C’est rêver d’une forme, la voir naître, puis parfois disparaître au fond du four.
Et pourtant, elle continue. Car pour elle, ce geste ancestral vaut plus que tout. Elle est aussi une militante, en acte, pour la survie des savoir-faire ruraux.
🔬 D’autres centres de poterie traditionnelle au Liban
Bien que de nombreuses fabriques aient disparu, plusieurs villages perpétuent encore des formes de poterie artisanale, avec ou sans tour, selon les traditions locales :
- Rachaya el Foukhar (sud du Liban) : comme son nom l’indique (“Foukhar” signifie poterie), ce village était un haut lieu de fabrication de jarres, de plats à cuisson et de tajines.
- Beit Chabab (Mont-Liban) : autrefois célèbre pour sa poterie et sa céramique émaillée.
- Tripoli : dans les souks, on trouve encore des artisans qui travaillent la terre cuite, souvent peinte ou vernissée.
Mais peu utilisent encore des techniques totalement manuelles, comme Sana.
🏡 Une présence rare en ville : Souk el Tayeb
Pour ceux qui ne peuvent se rendre à Assia, Sana expose chaque samedi au marché Souk el Tayeb à Beyrouth. Elle y vend ses plats de cuisson, ses tasses brutes, ses assiettes sculptées, mais surtout, elle y partage une histoire. Celle d’un artisanat méconnu, d’une terre travaillée à mains nues, d’une lenteur devenue rare.
C’est là que les citadins redécouvrent ce qu’est un objet porteur de sens : non standardisé, non industriel, non jetable.
🚫 Un artisanat en voie d’extinction ?
Le principal danger pour la poterie traditionnelle au Liban, c’est la perte de transmission. Peu de jeunes veulent apprendre un métier dur, lent, peu rentable à court terme. Il n’existe que très peu de programmes de formation.
Ajoutons Ă cela :
- Le coût du bois ou du gaz pour les fours
- L’instabilité économique
- L’absence de soutien institutionnel
Et pourtant, l’intérêt pour le fait-main, le durable, le local, revient peu à peu. Des designers, des cuisiniers, des artistes collaborent avec des potiers pour créer des pièces uniques, réinsuffler de la vie à ce métier.
💼 Conclusion : un savoir-faire à sauver, une leçon à recevoir
La poterie traditionnelle libanaise, et notamment celle de Sana Jabbour à Assia, n’est pas qu’un artisanat. C’est une mémoire vivante, une résistance poétique, une invitation à ralentir.
Face à l’uniformisation, elle rappelle la beauté de l’irrégulier. Face au plastique, elle offre la chaleur de la terre. Face à l’oubli, elle propose la transmission.
Aller voir Sana, c’est faire un voyage. Non pas loin, mais en profondeur. Vers ce que nos mains savent encore faire.