La Dabkeh (ou Dabke, ŰŻŰšÙŰ©) nâest pas une simple danse traditionnelle. Câest un langage collectif, un code culturel, une manifestation dâunitĂ© qui traverse les gĂ©nĂ©rations et les frontiĂšres. Au Liban, elle incarne autant la joie que la rĂ©silience, la mĂ©moire que lâappartenance. Elle est prĂ©sente dans presque tous les grands moments de la vie : mariages, repas de famille, fĂȘtes religieuses, fĂȘtes nationales, soirĂ©es entre amis. Elle unit les Libanais, toutes confessions confondues, dans un mĂȘme pas, un mĂȘme rythme, un mĂȘme souffle.
đ Origines de la Dabkeh : entre terre, pierre et solidaritĂ©
Les origines de la Dabkeh remontent Ă des millĂ©naires, dans les villages du Levant (Liban, Syrie, Palestine, Jordanie). Ă lâĂ©poque, les maisons Ă©taient faites de pierres et dâun toit en terre battue qui devait ĂȘtre rĂ©guliĂšrement compactĂ© Ă lâaide de pas rythmĂ©s pour Ă©viter les fissures aprĂšs les pluies.
Les hommes du village se réunissaient alors, main dans la main, pour piétiner en cadence le toit en scandant des chants. De ce geste utilitaire est née une danse rituelle, puis festive, devenue au fil des siÚcles une expression artistique et sociale.
đș Une structure bien codifiĂ©e
La Dabkeh se danse en ligne ou en cercle, les danseurs étant reliés par les mains ou les épaules. Elle est menée par un leader charismatique appelé le « raas » ou « lawweeh ». Celui-ci improvise des pas plus complexes, des tours, des claquements de pied, tout en incitant les autres à maintenir le rythme. Il peut aussi parfois animer en chantant ou en criant des slogans ou des refrains populaires.
Les pas sont rĂ©guliers, puissants, percussifs : frappes du talon, bonds, glissements⊠tout cela crĂ©e une sorte de battement collectif qui rappelle le battement dâun cĆur.
Il existe plusieurs styles de Dabkeh, selon les rĂ©gions : la Dabkeh libanaise est souvent plus rapide et plus fougueuse, tandis que la palestinienne peut ĂȘtre plus ancrĂ©e dans la symbolique de la rĂ©sistance, et la syrienne plus chorĂ©graphiĂ©e.
đ Dabkeh et vie sociale : une danse qui fĂ©dĂšre
Au Liban, la Dabkeh est prĂ©sente partout. Que ce soit dans les mariages, les fiançailles, les fĂȘtes religieuses, les festivals villageois ou mĂȘme les manifestations patriotiques, elle rassemble les foules. DĂšs que la musique dĂ©marre â souvent des chansons de Fairouz, Wadih El Safi, ou des morceaux modernes remixĂ©s â câest comme un signal : tout le monde se lĂšve, se donne la main, et entre dans la ronde.
Mariages et fiançailles
Impossible dâimaginer un mariage libanais sans Dabkeh. Elle est souvent le moment fort de la soirĂ©e, celui qui mobilise toutes les gĂ©nĂ©rations. Les jeunes, les anciens, les hommes, les femmes⊠tous dansent ensemble, souvent en lâhonneur des mariĂ©s. La Dabkeh peut aussi accompagner lâentrĂ©e du couple dans la salle ou encore lâarrivĂ©e du gĂąteau.
Repas de famille et fĂȘtes
Lors des grands repas familiaux, la Dabkeh surgit souvent spontanĂ©ment aprĂšs le dessert. Ă lâoccasion de NoĂ«l, PĂąques, Ramadan, AĂŻd, ou la Saint-Maron, elle prend une dimension encore plus Ă©motionnelle : celle du lien retrouvĂ©, de lâappartenance partagĂ©e.
𧏠Une mémoire collective en mouvement
La Dabkeh incarne des valeurs profondes dans la société libanaise :
- Solidarité : se tenir par la main, se coordonner, ne pas laisser un pas en arriÚre.
- RĂ©sistance : dans le geste puissant du talon qui frappe le sol, certains voient un Ă©cho Ă la rĂ©sistance face Ă lâadversitĂ©.
- Transmission : danser la Dabkeh, câest transmettre un hĂ©ritage vivant, de parents Ă enfants.
- FiertĂ© nationale : elle est souvent dansĂ©e dans les Ă©coles, les universitĂ©s, lors de festivals culturels, comme symbole de lâidentitĂ© libanaise.
đ La musique de la Dabkeh
Le rythme est central. Les instruments traditionnels incluent :
- Le tabl (tambour Ă deux faces)
- Le mijwiz (flûte à double tuyau)
- Le derbakeh (percussion goblet)
- Le nay (flûte orientale)
- Parfois, des claviers et sons électroniques modernes sont ajoutés pour dynamiser les soirées.
Les paroles des chansons de Dabkeh parlent souvent de lâamour du village, de la beautĂ© de la femme, de lâhonneur, du retour au pays, ou encore de la terre.
đ„ Un espace intergĂ©nĂ©rationnel et interconfessionnel
Lâun des aspects les plus remarquables de la Dabkeh est sa capacitĂ© Ă dĂ©passer les clivages. Sunnites, chiites, chrĂ©tiens, druzes⊠tous dansent la mĂȘme Dabkeh. Dans un pays parfois rongĂ© par les tensions confessionnelles, elle agit comme un antidote au repli identitaire.
Dans les manifestations de 2019, en plein mouvement de la « thawra », des cercles de Dabkeh ont jailli spontanĂ©ment au cĆur des ronds-points occupĂ©s, comme pour dire : « on est diffĂ©rents, mais ensemble ».
đ La Dabkeh au-delĂ des frontiĂšres
La diaspora libanaise a emportĂ© la Dabkeh partout dans le monde : Canada, BrĂ©sil, France, Australie, CĂŽte dâIvoire⊠Dans les festivals culturels, elle est souvent lâĂ©lĂ©ment le plus applaudi. Elle permet aux jeunes Libanais de lâĂ©tranger de reconnecter avec leurs racines, de vivre leur identitĂ© en mouvement.